S’il est un domaine où l’augmentation spectaculaire de notre consommation d’énergie au cours des dernières décennies a façonné en profondeur nos imaginaires, c’est bien celui des transports. Envisagé dans la continuité d’une disponibilité énergétique croissante, le véhicule du futur se doit d’être individuel, de plus en plus rapide et puissant. Popularisée par les films d’anticipation des années 80-90 – de la Delorean de Retour vers le Futur 2 aux villes aériennes du 5ème Élément- la voiture volante incarne ce rêve d’abondance. Mais cet optimisme tend à se heurter depuis quelques années à plusieurs limites : voyons donc à quoi devrait ressembler la voiture du futur dans un monde compatible avec la neutralité carbone (quota de 2 tonnes de CO2éq. par personne et par an) et les lois de la physique.
Commençons par l’effet de serre : les transports représentent actuellement en France près du tiers de nos émissions de CO2, dont un quart est dû au transport urbain (1). Ce secteur dépend à 96% du pétrole (1) et la substitution par l’électricité pose des défis techniques, une batterie au lithium emportant 50 fois moins d’énergie qu’une masse équivalente d’essence (2). En outre substituer l’essence à de l’électricité peu carbonée pour limiter les émissions en sortie de pot d’échappement ne résoudra qu’une partie du problème : la construction d’une (petite) voiture électrique est responsable de l’émission de 11 t de CO2 (3), ce qui représente 6 ans de quota carbone pour une personne, ou 12 ans si l’on se réserve l’autre moitié de ce quota pour d’autres activités accessoires (se nourrir, se loger, etc.).
Pourquoi les véhicules actuels sont-ils si loin du compte ? Deux choix de conception sont déterminants pour l’empreinte carbone : la puissance et la masse.
Depuis 1990, la masse moyenne de nos voitures a augmenté de 30% pour atteindre 1.2 tonne (4), la mode du 4×4 – terme euphémisé ensuite, en véhicule utilitaire sportif ou SUV- est passée par là.
Dans cette même période, la puissance moyenne de nos voitures a augmenté de 60% : une 2CV de 1950 atteignait péniblement 6kW quand une Clio de 2020 en développe autour de 100, une Tesla X autour de 750 (5)… ce qui représente la puissance cumulée de 1000 cyclistes pour la Clio, et 7500 cyclistes pour la Tesla. Cette escalade est pourtant sans rapport avec le besoin de l’utilisateur. Le constructeur de la dite Clio affiche une possibilité de dépasser le 200 km/h – 250 pour la Tesla – malgré la limite de vitesse maximale de 130 km/h, ou la vitesse moyenne de circulation de 19 km/h en ville – voire 15 km/h à Paris (6).
Vient enfin la question de l’inadéquation des usages : une voiture est inutilisée 95% de son temps de vie (7) pour une distance moyenne de 9 km par trajet (8). Pire, près de la moitié des trajets en voiture font actuellement moins de 2km (9).
Ainsi le matraquage publicitaire visant à imposer la puissance automobile comme marqueur social nous amène aujourd’hui à utiliser des engins de 1.5 tonnes capables d’atteindre le 200 km/h, avec une autonomie de 1000 km, pour déplacer une masse de 70 kg à une vitesse de 19 km/h sur des distances de l’ordre du km. En termes d’ingénierie, cela revient à une efficacité de l’ordre de 2%, ou encore à perdre 98% de l’énergie consommée (10). Difficile de trouver une utilisation plus inefficace de ressources en raréfaction.
L’erreur initiale consiste à poser la question du véhicule au lieu de partir du besoin, en posant d’abord celle de la mobilité. Au-delà des questions essentielles d’urbanisme qui permettront de limiter les besoins de mobilité et de renforcer l’offre de transports en commun, la commission Européenne dans son livre blanc des transports (1) estime que “de nouveaux modèles de transport (…) au moyen de modes ou de combinaisons de modes plus efficaces, doivent voir le jour”. Dans cette optique d’efficacité, ce même rapport prévoit que la majorité du transport de passager s’effectuera par le train en 2050, pour les trajets de moyenne distance. Les transports individuels doivent être assurés par des véhicules « plus petits, plus légers, plus spécifiques » et « seront de préférence réservés aux derniers kilomètres d’un trajet ». En suivant cette logique, le scénario Négawatt (11) parvient à diviser par trois la consommation des transports, tout en ne réduisant que de 15% les distances parcourues pour les trajets courts (<80km) et moyens (<800km) (12).
Cette analyse permet de préciser le portrait robot du véhicule individuel du futur sobre et efficace :
– utilisation pour les derniers kilomètres
– une faible énergie grise obtenue en alliant légèreté, faible technicité, durabilité accrue (réparabilité) et un taux d’utilisation élevé (auto-partage, mutualisation)
– une faible consommation en reconnectant masse et puissance au besoin réel : par exemple 20 à 30 km/h en ville, 60-70 km/h en périurbain
– un faible impact environnemental en favorisant la recyclabilité des matériaux et une source ou une combinaison de sources d’énergies décarbonées : force musculaire, électricité, biogaz ou hydrogène renouvelable.
Sans nécessiter de saut technologique, des solutions remplissant ces critères existent déjà ou sont en train d’apparaître : ils se nomment gyropodes monocycles, trottinette et vélos avec ou sans assistance électrique, vélos-cargos, scooters électriques, triporteurs urbains comme Wello, Bayk ou Citykar (13). La diversité des modèles et l’effervescence qui règne dans ce domaine est le signe d’un avenir prometteur, sans doute plus compatible avec les limites de notre planète que celui du SUV hybride.
- Livre blanc de la commission européenne – Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources
- Wikipedia
- IEAHEV 2021 annual report page 33
- Ademe Carlabelling report 2020
- Sources constructeurs
- Ademe 2005
- Ademe 04/2016 – Les potentiels du véhicule électrique
- Statista
- Planetoscope
- Calcul de coin de table en considérant l’efficacité d’un moteur de voiture autour de 20% permettant de déplacer un dixième de la masse et du volume utiles
- Scénario Négawatt 2022
- Pour les trajets longue distance (>800km) pour lesquels l’avion domine, l’atteinte des objectifs de neutralité carbone impose une réduction plus conséquente avec -45% des distances parcourues en 2050. Sur le futur de l’aviation, voir le récent rapport du Shift project.
- Voir le site velocar.net
Remarque, la 2CV de 1950 avait un moteur de 325cm3, Elle utilisait des essences de qualité assez faible ; la puissance devait être assez faible. En roulant à fond, la vitesse était de 68km/h, la consommation de 4,3l / 100km d’après mon expérience sur 11 000 km.