Article LFF6 – Interview de D. GINEY, spécialiste du Transport aérien par Câble

Delphine Giney originaire de Lyon, a soutenu une thèse qui s’intitule : « De l'(in)acceptabilité à l’appropriation sociale et pratique d’un nouveau transport collectif en milieu urbain : le transport aérien par câble : mise en perspective internationale France – Italie – Etats-Unis – Colombie »

Elle a accepté de répondre à nos questions en tant que spécialiste de ce nouveau mode de transport public urbain.

1 – L’intérêt de transports publics structurants et connectés sur une métropole comme celle de Lyon ?

Un maillage global et pertinent des transports publics assure une fluidité dans les déplacements, attire davantage d’usagers et mène progressivement vers un changement de pratiques, notamment l’abandon de la voiture individuelle. C’est donc la voie vers une ville moins polluée, moins congestionnée, plus saine et plus agréable à vivre au quotidien. Un maillage fin permet également de réduire les inégalités d’accès à la ville et à ses zones d’emploi. Une métropole à la desserte structurée et connectée est donc plus inclusive et plus durable. 

2 – Que pensez-vous du projet de mandat du Sytral ? Et plus particulièrement de la technologie par câble qui est proposée ?

L’urgence actuelle liée à la sortie des modes carbonés, couplée à l’engorgement de la Métropole rend crucial un maillage pertinent en transports en commun. Une politique de développement des transports publics ambitieuse démontre la prise en compte de cet impératif de durabilité. 

L’Ouest lyonnais souffre d’un déficit de transports en commun efficaces qui pousseraient les habitants à abandonner leur voiture. La topographie de la zone est un des freins au développement de l’offre d’alternative à la voiture. Le transport par câble est un mode destiné aux franchissements d’obstacles, qu’ils soient urbains ou naturels, à plat ou présentant un dénivelé. D’un point de vue environnemental il a pour lui un gros avantage : peu d’impact au sol, comparé à son cousin funiculaire ou encore au tramway. En optimisant la taille des gares et des pylônes, voire en implantant les gares dans des bâtiments existants, il permet de nous préserver de l’artificialisation des sols, plus gros destructeur du patrimoine naturel. A travers son développement mondial, il est pensé comme un transport de rabattement, c’est-à-dire comme le dernier maillon du réseau de transports pour répondre à un besoin de desserte locale, et non comme un maillon central du réseau public. Il vient donc en complément du reste du réseau. Ainsi, il répond à un besoin précis et localisé de desserte. Le projet de câble du Sytral semble aller dans ce sens.

3 -Êtes-vous informée de la position de rejet du projet de TpC ? Que pouvez-vous nous en dire ?

Le transport par câble est une technologie peu familière aux citadins, elle renvoie à une dimension aérienne peu exploitée en France et en Europe, contrairement aux villes verticales américaines par exemple. Sans compter que ce transport renvoie généralement à un usage aux sports d’hiver connu pour sa lenteur, ses files d’attente ou encore la proximité physique dans la cabine. Il n’est pas perçu comme un transport performant. 

En ville, les attentes et les exigences changent : il se doit d’être rapide, sa desserte pertinente, son fonctionnement silencieux, son intégration paysagère soignée, sa sécurité optimale… Tant de représentations donc qui ne lui sont pas spontanément associées. 

La hauteur de l’infrastructure, le survol qu’il implique, la co-visibilité qui en découle et sa dimension paysagère renvoient à des valeurs qui sont chères aux habitants : la qualité et le cadre de vie, l’intimité, la tranquillité, la propriété et bien sûr la reconnaissance sociale et la prise en compte de leur opinion en tant qu’habitant mais également en tant que citoyen. 

Les craintes évoquées par les opposants au projet sont légitimes. Elles supposent, de la part du maître d’ouvrage, une adaptation du tracé et du projet au plus près des besoins et des préoccupations des habitants. Quel que soit le mode de transport proposé, c’est au final la remise en question des valeurs et des multiples attachements au lieu (au patrimoine historique et naturel, attachement identitaire…) ainsi que la réponse à des besoins réels qui sont au cœur de l’opposition. 

4-Quelles seraient vos préconisations sur ce projet ?

Il semble primordial de revenir sur les besoins réels en déplacements, à travers des études fines de trajets quotidiens effectués et des enquêtes auprès des habitants. Tout transport se doit de répondre à des besoins réels sinon son utilisation n’est pas au rendez-vous. 

Il est également important de penser en amont les interconnexions, les distances inter-stations, le dernier km jusqu’au domicile (possibilité de transporter son vélo, sa trottinette etc. dans ou à l’extérieur de la cabine), à défaut la voiture restera le choix prioritaire. 

Si les besoins sont bien là, que le tracé y répond, la technologie par câble semble pertinente vis-à-vis du manque de desserte, des obstacles à franchir, des zones naturelles à survoler pour les préserver et bien sûr son absence d’émissions polluantes dans un secteur pour le moins congestionné. La co-visibilité peut être travaillée à partir de technique d’occultation automatique ou d’aménagement intérieurs des cabines, de modification du tracé (en évitant le survol des parcelles privées) ou encore de végétalisation des alentours. 

Pour réellement considérer le transport par câble comme un transport urbain à part entière il est important de le ré-envisager à travers nos enjeux de durabilité actuels : sortir des transports carbonés, préservés nos milieux naturels urbains et leur biodiversité, se donner les moyens d’aller vers plus d’égalité et d’offrir à tous le droit à la ville. 

De mon point de vue, il est également essentiel de penser un projet de transport public comme un projet urbain global en associant les habitants très tôt dans la réflexion puis dans la conception pour entrevoir de nouvelles opportunités pour les territoires traversés : la câble peut être plus qu’un simple transport. Pourquoi ne pas réinventer l’usage des stations ? Si le quartier manque, par exemples, d’espaces culturels, de lieux de rencontres, ou encore de crèches. Associer plusieurs fonctions à un lieu central est courant dans les stations de télécabines d’Amérique Latine (bibliothèque, centre d’apprentissage informatique etc.). Les pylônes peuvent être végétalisés, peints et laisser libre court à l’imagination des habitants directement concernés. Cela suppose à nouveau de bien cerner en amont les attentes, les envies et les besoins des territoires concernés et de leurs habitants.